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le phénomène des « eaux mortes » : Des bateaux qui ralentissent tout seuls, voire s’arrêtent, sans raison évidente

 

 

 

En 31 avant notre ère, lors de la guerre civile de la République romaine consécutive à l’assassinat de Jules César, la flotte d’Antoine et Cléopâtre est vaincue par celle d’Octave dans le golfe Ambracique, au nord-ouest de la Grèce, lors de la bataille navale d’Actium. Les navires d’Octave auraient profité de la lenteur anormale de la flotte adverse pour s’emparer de la victoire. Pourquoi la flotte d’Antoine et Cléopâtre n’a-t-elle pas pu atteindre une vitesse suffisante pour éperonner les navires d’Octave ? Selon la légende rapportée par Pline l’Ancien, des rémoras, des poissons à ventouse, se seraient fixés sur la coque des navires, ce qui les aurait freinés. Pour Germain Rousseaux, du laboratoire P', à Poitiers, et ses collègues, c’est peut-être une manifestation du phénomène dit « des eaux mortes ». L’équipe a entrepris d’élucider l’origine mal comprise de cette bizarrerie maritime.

 

En 1893, l’explorateur norvégien Fridtjof Nansen a décrit le phénomène des eaux mortes : en expédition au nord de la Sibérie, son bateau s’est retrouvé inexplicablement ralenti. Suivant ce témoignage, le physicien et océanographe Vagn Walfrid Ekman a cherché en 1904 une explication. Il a montré en laboratoire qu’au passage d’un bateau dans une zone de mer stratifiée (c’est-à-dire organisée en plusieurs couches de densité différente du fait de leur salinité ou de leur température), il se forme des vagues sous la surface, à l’interface entre deux couches, typiquement une couche d’eau douce et une couche d’eau salée. Cela peut survenir par exemple dans un fjord ou dans l’océan Arctique à cause de la fonte d’un glacier ou de la banquise. Ces vagues sous-marines interagissent avec le bateau, créent une traînée et freinent le mouvement du navire.

 

Deux processus de résistance au mouvement avaient été observés en laboratoire par Ekman et d’autres, que Germain Rousseaux et ses collègues ont nommé « résistance d’onde interne à la Nansen » et « résistance d’onde interne à la Ekman ». Le premier correspond à la formation d’un sillage qui freine le bateau de sorte que sa vitesse est réduite, mais constante. Le second fait diminuer de façon oscillante la vitesse du bateau, un phénomène de résistance dynamique dont l’origine restait à expliquer. L’effet Ekman ne se produit pas en pleine mer : on ne l’observe que dans une configuration latéralement confinée, comme des canaux fluviaux, l’entrée des ports, etc.

 

Dans une expérience avec une cuve et des parois latérales, la difficulté est donc d’arriver à dissocier l’effet Nansen de l’effet Ekman pour pouvoir les étudier. Pour cela, Germain Rousseaux et ses collègues ont analysé en laboratoire le mouvement d’un modèle de bateau se déplaçant dans un bassin d’eau stratifiée avec différentes conditions et ont également effectué une analyse mathématique du système. Les chercheurs ont montré que l’effet Ekman qui se manifeste dans l’expérience est lié à la formation d’un front d’ondes de pression variable sous le bateau. « Ce front est le résultat de la combinaison de la stratification, du confinement latéral de la cuve et de l’accélération initiale du bateau qui part d’une vitesse nulle ou faible. Le front d’ondes agit alors comme un tapis roulant bosselé sur lequel évolue le navire », explique Germain Rousseaux.

 

L’équipe a aussi montré que le régime de résistance d’Ekman était un phénomène transitoire qui s’amortit : le mouvement du bateau tend progressivement vers le régime de Nansen. La vitesse du bateau diminue et oscille pour se stabiliser à la vitesse limite que lui impose le phénomène à la Nansen tant qu’il se trouve dans la zone de fluide stratifié des eaux mortes.

 

Et pour la bataille d’Actium ? L’embouchure du golfe Ambracique, peu profonde et alimentée en eaux douces, offre un contexte favorable pour la formation d’eaux mortes. Un piège marin qui se serait refermé sur la flotte d’Antoine et Cléopâtre, qui n’aurait pas réussi à prendre assez de vitesse pour forcer le blocus établi par la flotte d’Octave…

 

Article de Pour la Science

 



27/09/2020
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